Immersion sur le Chemin

Cinq semaines avant notre départ réel, nous avons souhaité (encouragé par une amie qui a déjà baroudé sur plusieurs chemins) nous familiariser avec ce nouvel environnement qui nous attend bientôt. Nous sommes donc partis 3 jours sur le chemin de St Jacques de Compostelle avec tout notre barda pour valider notre préparation : physique, matérielle et organisationnelle. Par souci pratique, nous avons donc effectué les trois premières étapes à partir de notre domicile...

Ardentes - Neuvy St Sépulchre - 21,5 kms (23 mars 2013)

Départ 9 h 10, temps couvert et menaçant, température de 8°C à 14°C.

Essai grandeur nature avec cette première journée qui va nous permettre de rallier le chemin de Vézelay à Neuvy St Sépulchre. Et la météo est tout de suite avec nous : en effet, il se met à pleuvioter et nous pouvons ainsi tester l'efficacité de nos couvre-sacs achetés un peu plus tôt dans la semaine. Achat concluant ! 
Puis, assez vite, CompostElle et moi, exprimons la même remarque : "Ils sont lourds nos sacs !"... Pourtant, nous n'avons pas dépassé les 15 kgs (pour les deux : 6 et quelques pour madame et 8 et quelques pour moi), initialement prévu. Certainement une histoire de réglage qu'il va falloir élucider au plus vite. 

Puis, une fois bien lancés sur le chemin, nous saisissons simplement  le plaisir d'entamer ce parcours, nos sens sont en éveil et nous sommes juste heureux quand 8 chevreuils nous saluent en coupant le sentier sur lequel nous cheminons, vers la butte de l'Age. Lys St Georges se profile bientôt devant nous et nous avons prévu d'y faire notre pause déjeuner. A quelques encablures de ce pittoresque village dont G. Sand a écrit "une paroisse au nom poétique et au paysage sublime", une voiture qui vient à notre rencontre, s'arrête à notre hauteur... J'entrevois sur le pare-brise du véhicule un macaron bleu-blanc-rouge avec les lettres "RF" incrustées dessus. Le conducteur ouvre sa vitre et nous demande si ça va... Oui, ma foi, ça ne va pas trop mal : on a bien envie de lui dire qu'on commence à avoir mal aux pieds, mais nous n'en ferons rien ! Finalement, il nous précise qu'il est le Maire de Lys St Georges, et que cela fait maintenant 8 ans qu'il voit avec fierté des pèlerins arpenter sa commune, passant ainsi de la branche Nord du chemin de Vézelay (par Châteauroux) à la branche Sud (par La Châtre) en empruntant ce chemin de traverse non répertorié qui bifurque à Neuvy-Pailloux pour ensuite passer par Ardentes, Lys St Georges et rejoindre Neuvy St Sépulchre. Nous l'informons que nous nous essayons au chemin pour trois jours en prévision d'un départ réel fixé au 1er mai, et que nous habitons Ardentes... "Ah, vous êtes du coin ! Je ne vais donc pas vous conter l'histoire du village !!!". C'est donc presque à regret qu'il prend congé de nous.

A 12 h 30, la parenthèse déjeuner salvatrice : nous avons parcouru 14 kms en 2 h 50 de marche effective. Nous nous installons sur un banc devant le cimetière : l'endroit est reposant... Une averse écourte notre pause et nous invite à reprendre la route. Ouille, ouille, ouille, que c'est dur de repartir : les tendons sont tendus comme des cordes de violon !

Lys St Georges sur la butte.



 
Les derniers kilomètres de l'étape s'effectuent principalement sur le bitume et nous sommes beaucoup moins bavards que dans la matinée... Les petites douleurs, les averses, la lenteur de la progression font que chacun intériorise ses pensées... Enfin, vers 14 h 45, l'étape est bouclée : 21,560 kms en 5 h 35 (arrêts compris), notre vitesse de marche s'établissant à 4,9 km/h (à titre d'indication).
Reste plus qu'à rejoindre le Relais de la Vieille Route, notre gîte pèlerin (12€/pers), prendre possession des lieux. La clef est sur la porte, comme convenu par téléphone, le propriétaire étant absent ! Nous laisserons notre obole sur la table... Place au réconfort maintenant...

Gîte très bien agencé.

Neuvy St Sépulchre - Gargilesse - 29 kms (24 mars 2013)

Départ 8 h 10, temps frais et dégagé, température de 5°C à 12°C.

Cette étape, donnée pour 28,5 kms, nous avions programmé de la raccourcir un peu car pour notre 2ème jour, il nous semblait imprudent de se lancer sur une telle distance. Nous partons donc de bon matin, en longeant le plan d'eau de Neuvy pour rejoindre un chemin herbu qui monte doucement et sans à coups pendant plusieurs kilomètres. Le terrain est très souple, à la limite du terrain lourd et CompostElle a déjà les pieds trempés, détail qui aura toute son importance comme on le verra un peu plus tard. Nous arrivons à Cluis assez aisément, en longeant la forteresse, et nous savons que c'est le dernier village, avant demain soir, où l'on pourra se ravitailler... Arrêt dans la petite épicerie en face de l'église ; la liste de course est assez restreinte : 250 g de pâtes, une petite boite de pâté, 3 baguettes, un paquet de fromage râpé, un saucisson sec, 2 bananes. Le sympathique épicier rajoute 2 clémentines dans notre petit sac et nous souhaite un bon voyage.

Entre temps, la météo s'est assombrie et s'il ne pleut pas, une impression de froid nous envahit. Une petite halte "gâteaux secs" juste avant de franchir le viaduc de Cluis et nous voilà repartis pour Pommiers, prochain village sur notre chemin.

Le viaduc de Cluis.

Après avoir franchi le viaduc, nous empruntons une petite route goudronnée pendant plusieurs kilomètres ce qui est assez bon pour la moyenne, mais beaucoup moins pour les tendons... Bref, Pommiers surgit dans la grisaille et y accueille une randonnée VTT, et au vu de l'heure (12 h), nous avons bien failli pénétrer dans la salle réservée au vin d'honneur pour s'y restaurer un peu...
Finalement, nous pique-niquerons sur des billes de bois à la sortie de ce village, mon couvre-sac me servant de coupe-vent !!!

Après la pause, le redémarrage est toujours difficile pour les pieds mais bon, il nous faut avancer. Nous progressons toujours sur le bitume, mais cela fait maintenant une bonne dizaine de kilomètres qu'on n'a pas vu une voiture... A un moment, je distingue au loin sur notre gauche, un village que j'identifie comme Dampierre. Si cela s'avère exact, nous ne sommes plus très loin de Gargilesse et cette idée nous réconforte... Heureusement, car à partir de ce moment précis les côtes se succèdent et les pentes à gravir sont sévères ! Mais au bout de ces derniers (du moins c'est ce que l'on croyait) efforts, une longue et abrupte descente nous amène dans Gargilesse au moment où les cloches sonnent 14 h !!! Suite à un problème de GPS, nous estimons la distance parcourue à 23 kms : il faut juste rejoindre le camping de la Chaumerette à 1,5 km du bourg où nous avons réservé un chalet, car tous les gîtes communaux sont indisponibles. Par téléphone le gérant m'avait indiqué de suivre les panneaux "camping" ou le balisage du chemin de St Jacques de Compostelle : il passe devant... 
Le village de Gargilesse, labellisé "plus beau village de France" et lieu de villégiature privilégié de George Sand, est désert : il ne vit que l'été. Pas une âme qui vive, pas de panneau "camping", nous suivons donc le chemin de St Jacques. A la sortie du bourg, face au  cimetière, une pente énorme et longue nous attend, puis la route se transforme en chemin pratiquement impraticable : des ornières boueuses patientent afin de happer nos chaussures pas encore trop marquées...

Le sourire est encore là : cela ne va pas durer !
  
Nous faisons contre mauvaise fortune bon cœur et nous pataugeons allègrement dans cette fange en se réconfortant : il vaut mieux passer ici sur la fin de l'étape qu'au début !!! Vu les difficultés, nous n'avançons plus bien vite, mais au bout d'environ une heure, je dis : "Stop !". Il y a un problème... Toujours pas de camping en vue. Nous sommes au Cerisier, un hameau de quelques maisons plus ou moins abandonnées, CompostElle frappe à une porte pour se renseigner : la lumière à l'intérieur, s'allume, un chien aboie, une ombre approche de la porte, mais personne n'ouvre ! Soudain, un bruit de moteur, une voiture approche et CompostElle au mépris de toutes les règles de sécurité, se jette littéralement sous les roues ! Le conducteur est contraint de s'arrêter et il nous indique que pour rejoindre le camping de la Chaumerette, il faut retourner à Gargilesse puis descendre jusqu'au bord de la Creuse... 

Après ces péripéties, nous arrivons enfin à destination à 16 h 15 et nous flirtons avec les 30 kms au compteur !!! En fait, c'est le GR 654 (appelé aussi chemin de Vézelay) qui passe à La Chaumerette...  

Une petite étincelle de délice quand même pour clore cette journée : juste à côté du camping, il faut absolument faire un tour à l'Auberge de la Chaumerette ! C'est..... indescriptible... On écarquille les yeux et surtout on s'y sent bien, comme chez des amis...


Gargilesse - Crozant - 19,8 kms (25 mars 2013)

Départ 8 h 10, temps couvert, température de 2°C à 8°C.

Il fait pas chaud ce matin, sans doute que le fait d'être si près de la Creuse accentue ce sentiment de fraicheur... Mais comme nous attaquons cette dernière journée d'immersion par une côte d'environ 2 kms, nous monterons tout de suite en température ! Il faut donc repasser au Cerisier, mais pour ne pas reprendre le bourbier d'hier, nous avons repéré une petite route pratiquement parallèle au chemin. Nous arrivons ensuite, grâce à une belle descente, relativement vite sur Cuzion, où nous ferons la rencontre du jour : juste avant de grimper le talus qui mène au bourg, un tracteur survient en face de nous et on ne peut dire, au premier coup d’œil, qui de la machine ou du conducteur est le plus vieux ! Nous le saluons au moment où il descend de l'engin et nous en profitons pour s’enquérir des commerces existant sur la petite bourgade. "Ah, mes pauvres gens, il n'y a plus rien ici !" répond l'homme affublé de son bleu de travail. Il nous dit qu'il est né en 35 (ce qui lui fait 78 ans !), qu'à l'époque où il était enfant, le village comptait 2 000 âmes et qu'il n'en reste plus que 400 de nos jours !!! Pire encore, que l'école communale qu'il fréquentait au siècle dernier recevait 120 élèves contre seulement 5, aujourd'hui... Ainsi va la vie dans nos campagnes profondes, la désertification guette des pans entiers de territoire et des villages meurent doucement dans l'indifférence générale. Il nous raconterait sans doute encore une kyrielle de choses intéressantes, mais il nous faut prendre congé : nous ne sommes qu'au début de cette étape.

Après la traversée de Cuzion, nous amorçons une belle descente tortueuse et étroite qui serpente dans un bois jusqu'au bord de la Creuse. Nous regrettons un peu le manque de soleil ou de luminosité car le paysage doit être sublime par beau temps. Le sous-bois est couvert de muguet et sans aucun doute que lors de notre prochain passage, ce si caractéristique parfum embaumera l'air ambiant, rendant encore plus magique notre cheminement. 
Nous longeons le cours d'eau jusqu'au Pont des Piles et là, nous avons un moment d'hésitation : le GR 654 avec le sigle représentant une coquille stylisée jaune sur fond bleu nous enjoint de rester sur la même rive, tandis que le chemin de Vézelay nous recommande de traverser le pont pour aller sur Eguzon...



Nous choisissons de passer de l'autre côté de la rive et devant le soudain manque de balisage, nous nous engageons sur une petite route menant aux ruines de Crozant. Toujours pas de ravitaillement en vue et nous savons, maintenant, qu'il faudra rallier l'arrivée avec le demi saucisson et la mini boite de pâté qu'il nous reste dans le fond du sac...

Nous laissons derrière nous Fressignes, un petit hameau où se perche plusieurs belles demeures, et nous nous installons sur un banc pour la pause casse-croûte... Pas de folie, cela restera très frugal ! Nous en profitons pour faire un point sur nos petits bobos : CompostElle souffre de plusieurs ampoules sous la plante des pieds quant à moi, ce matin pas de douleur aux tendons d'Achille et je me dis secrètement qu'il m'a fallu seulement 3 jours pour apprivoiser le chemin... Nous repartons sans trop tarder : d'une, nous n'avons pas de dessert, et deuxio, le fond de l'air est toujours frais ! Suivant le conseil d'un ressortissant britannique, installé en France depuis une quinzaine d'année, rencontré sur le bord du chemin, nous nous engageons dans un petit sentier afin de circonscrire au maximum la marche sur bitume. Et franchement, nous avons bien fait de suivre ce conseil avisé. Ce boyau de verdure souple ondule entre champs et taillis passant de l'un à l'autre sans heurt... Toutes les facettes de la nature s'imbriquent simplement, pour se fondre qu'en un paysage dans lequel nous nous autorisons une incursion discrète. A la sortie d'un bois, je fais remarquer à CompostElle qu'aujourd'hui nous n'avons encore pas vu de cervidés ou autres, contrairement à nos deux premières étapes (8 avant-hier et 3 hier) et là dans une clairière, sur notre gauche, 2 chevreuils nous attendent !!! Plaisir simple, sans artifice.

Comme nous ne sommes plus sur aucun chemin répertorié, nous faisons le point sur notre progression et estimons (à vue de nez) qu'il nous reste encore 2 bonnes heures de marche et là, le moral en prend un coup... Je traine à nouveau la patte tandis que CompostElle papillonne autour de moi, ce qui, il faut bien l'avouer, n'est pas fait pour me remonter le moral ! Entretemps, du côté de la Feyte, le chemin de Vézelay  rejoint notre sentier : nous retrouvons un peu d'optimisme et heureusement, parfois, le destin veille sur nous car après avoir souffert sur quelques kilomètres, au dessus d'une colline j'aperçois à l'horizon, des tours en ruine : Crozant n'est plus qu'à quelques pas ! Certes, la descente en lacets et la montée qui s'ensuit est laborieuse mais peu nous importe, nous y sommes...

Les ruines de Crozant qui dominent la Creuse.
 
 

Les enseignements et les leçons à tirer de ces 3 jours 

- Dès qu'on a les pieds mouillés, il faut impérativement changer de chaussettes (sinon gare aux ampoules) et pendant la marche, étendre celles qui sont mouillées sur son sac à dos (s'il ne pleut pas !)

- Le réglage du sac à dos est primordial : les pieds souffrent déjà suffisamment comme cela sans qu'il ne soit besoin d'ajouter une douleur supplémentaire au niveau des épaules. Il faut impérativement serrer la ceinture abdominale sur les os iliaques pour que le poids du sac soit supporté principalement par le bassin... Ensuite, la finalisation du réglage s'opère avec les rappels de charge (s'il y en a).

- Un support papier des étapes aurait sans doute permis d’éviter ces errements de fin de parcours lors de la 2ème étape... Car pour l'instant nous nous dirigeons avec les logiciels Maps et l'application Endomondo sur Androïd qui ont atteint leurs limites. Le guide du chemin de Vézelay (appelé aussi, guide Chassain) a été commandé suivant ainsi le conseil de beaucoup d'internautes.    

- Rester humble et modeste sur le chemin : ce n'est pas parce que tout va bien à un instant T, qu'il en sera de même à T+1...

- Apporter réconfort et assistance aux autres pèlerins en faisant preuve de compréhension et d'écoute : ne pas rester renfermé sur ces "problèmes" ou douleurs...

La décision 

 

Nous avons remarqué que nous terminions les étapes aux environs de 14 h, ce qui ne s'avère pas nécessaire... Une arrivée, sur les lieux où se situe le gîte, vers 15 h, semble amplement suffisant pour effectuer les différentes tâches post-marche (lessive, douche, ravitaillement...). Nous allons donc instaurer une sorte de mémorandum afin de bien paramétrer les journées : 
Nous ferons les 3 x 8 !!!  Non, nous n'allons pas marcher matin, midi et soir... Mais nous découperons les étapes en 3 fois 8 kms ! Car, la distance kilométrique moyenne journalière étant de, plus ou moins, 24 kms, et notre vitesse de croisière tournant autour de 4 km/h, nous marquerons donc une vraie pause de l'ordre de 15', vers le 8ème kilomètre (soit après 2 heures de marche). Le 2ème tronçon de 8 kms, nous amènera à la pause déjeuner qui devra s'efforcer de durer 1 h, si les conditions météorologiques le permettent. Et donc, le dernier tronçon nous poussera jusqu'au terme de l'étape.

Nous pensons qu'ainsi déterminé, le découpage des journées permettra de récupérer ou tout du moins de retarder l'apparition de la fatigue, et aussi de marteler et inscrire dans nos habitudes, le fait qu'il faut prendre son temps...



  

5 commentaires :

  1. Merci pour ces précieux enseignements.
    Je suis(suivre) votre chemin avec un grand plaisir et envie.
    Serge

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    1. La seule chose qui nous a manqué, c'est une veste en Goretex mais bon nous sommes tombés sur des conditions météo exceptionnelles !

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  2. bonjour !

    j'ai fait une grande partie de ce chemin (de Vézelay à St leonard de Noblat), en mai, sous des trombes d'eau.... je me suis arrêtée pour une nuit à Cluis (gite pèlerin très sympa et ravitaillement dans le village).
    cordialement
    Béatrice

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  3. Oui, juste à côté de l'église et Ahmed l'épicier marocain est super sympa !!!

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  4. génial Ahmed ! et gite très sympa en face : c'est lui qui a la clef et qui appelle les responsables du gite!
    il y a aussi des gites à
    - Gargilesse (gite municipal, splendide, 12 euros la nuit) super bien équipé, chambres individuelles, à coté du syndicat d'initiatives (à coté de l'église dont on visite, comme pèlerin, gratuitement la crypte aux fresques et peintures).
    - Crozant : gite municipal (mais ils demandent la créanciale)12 euros la nuit, un peu rudimentaires mais sympa et commerces à coté (épicerie, boulangerie ...)

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